Celle qui attendent, Fatou DIOME, Flamarion

« Quand dire ne sers plus ien, le siège est une ouatouverte à l’esprit »
Des drames sur les départ de l’être aimé, on en entend. Les déchirures que provoquent la mort finissent peut-être par se guérir, mais qu’en est-il de celles qui se dans l’incertitude d’un retour ?
Dans ce roman, Fatou Diome révèle au grand jour le vide que laissent derrière eux les chiens désireux de poursuivre sous d’autres un sort qu’ils croient leur être plus favorable. Quand le voyage se fait du sud vers le nord, ces aventuriers se voient affubler la qualité de migrants. Si le drame de leur récit nous semble désormais familier, on ne peut pas en dire autant des personnes qui restent les attendre. Pour elles, moins de témoignages, moins de unes de journaux. Pourtant, ce sont ces paroles invisibles, inaudibles, et que la douleur et le manque rendent indicibles que Fatou Diome raconte dans son livre, par la voix de mères et d’épouses unies dans l’attente du retour du fils ou du mari que le départ à l’aventure rend prodige. Ces femmes sont Arame, Bougna, Coumba et Daba. Face à ces situations, on pourrait les croire résolues à faire face à l’impuissance de l’attente, mais il n’en n’est rien, car leur patience ne consiste pas à attendre, mais à agir en attendant, parce que « la vie n’attend pas les absents ».
Pour les mères, il faut continuer à subvenir aux besoins de la famille, tenir le cap et continuer à jouer le rôle de pilier, parce qu’au moindre fléchissement ; c’est le reste de la famille toute entière qui flanche. Alors, dans la journée on s’occupe de tous : du mari qui rend invivable la vie de celle qui paie déjà au prix fort l’épanouissement des siens, des petits frères et sœurs ayant plus ou moins conscience de la situation, et des promises avec lesquelles on partage en silence le fardeau de l’attente.
Pour les femmes, celles à qui les maris partis en disant au revoir ou non ont promis monts et merveilles à leur retour , il faut aussi continuer à affronter la vie, dans son tumulte et ses péripéties. Il faut chérir chaque jour le vœu d’un retour imminent qui viendrait récompenser ces années de solitude et de fidélité. Mais le caractère imprévisible de la vie se manifeste aussi par les amours qui surviennent, ceux qui rendent l’attente supportable, ceux qui deviennent une option, ceux qui finissent parfaire oublier la promesse jadis faite.
Mais qu’elles soient mères ou épouses, ce n’est qu’à l’abri des regards, dans l’ombre de leur chambre et le retranchement de leur cœur qu’elles s’octroient la fragilité de ceux à qui la vie a pris un être cher. À cette fragilité exceptionnelle, mais pourtant continue, s’ajoute souvent une impuissance que l’on confie secrètement àun dieu, seul être capable par sa toute-puissance de permettre une issue favorable.
Si la tristesse que commande l’incertitude est indéniable chez chacune de ces mères et épouses, le rêve d’une situation meilleure parvient dans bien des cas à la contenir. En effet, ici comme dans plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, avoir un enfant, un époux ou plus largement un proche en Europe est encore malheureusement gage d’une ascension sociale sans égal, l’assurance d’un avenir plus radieux. À ceux partis à l’aventure, il incombe donc la mission de faire le nécessaire pour que les leurs puissent s’élever au-dessusde leur condition.
À travers ce roman, Fatou Diome fait vivre dans une plume remarquable et splendide le drame des émotions que l’on aurait peut-être préfère taire . Elle empoigne une réalité lointaine mais qui pourtant résonne profondément en nous.
Ce roman c’est l’histoire de « Celles qui attendent mais répondent à l’appel de chaque aube et tracent le sillage de leurs rêves. »
Sarah GIORIA NDENGUE

A lire également