Série : Le tueur Affaires d’Etat     

Titre : Tome 1-Traitement négatif

Scénariste : Matz

Dessinateur : Luc Jacamon

Edition : Casterman

Date de sortie : 15 Janvier 2020

Le tueur atterrit dans une petite ville portuaire aux trafics en tout genre. Employé sans histoire, il se fond dans la masse avec un boulot d’anonyme. Le soir, il retrouve Nicolas, un ancien des forces spéciales au service de l’Etat. Ils font le point sur leur cible sous les ordres de Barbara pilotant la mission pour le gouvernement. Qu’est-ce qui change dans la vie du tueur, comment se retrouve-t-il au service de la nation ? « Je n’avais pas le choix » confie Denis à son nouveau collègue. Pour Nicolas, c’est un engagement motivé par le besoin de servir la patrie. Leur cible, un dealer notoire planqué sous l’apparence d’un brave employé de la municipalité. Nabil sert de lien entre les quartiers difficiles et la mairie. Derrière cette façade de bonne apparence se cache un trafic de came sur le quartier et la ville portuaire. Le caïd ne fait pas dans la dentelle quand on le trompe. Est-ce une manière pour la municipalité d’acheter la tranquillité en fermant les yeux ? Que vient faire l’Etat dans ce panier de crabes ? Ces questions et d’autres interpellent Nicolas, moins le tueur. Pour lui, seules la cible et la logistique comptent, le reste n’est que secondaire. Tout est en place pour la grande farce du monde, loin des questions existentielles des citoyens. La paix de l’âme des gens ordinaires n’a pas de prix.

« De tout temps, quel que soit le régime — monarchie, république, tribu primitive, dictature, démocratie, empire, on a éliminé des individus » Le Tueur.

Les premiers cycles formaient un ensemble remarquable, une réflexion existentielle sur le bien, le mal, la vie, la mort, la solitude, l’humanité et enfin, sur la société. Le destin nous appartient. Il n’est pas le fait du hasard mais de l’ensemble de nos actes. Matz et Luc Jacamon nous surprenaient avec cette saga entre réflexion et thriller bien calibré, comme la balle du tueur. C’était la biographie d’un homme apparemment sans scrupule et sans âme, uniquement sensible à sa cible et la logistique pour l’annihiler. Derrière la réflexion se cache bien plus que ce que les apparences nous disent. Centré sur l’assassin dans l’esprit du Vieux de la montagne, après un silence de six ans, il revient en France. Nous retrouvons tout ce qui fait le sel de la série bonifiée par le temps. Le tueur n’est plus à son compte, mais à celui de l’Etat, par obligation. Le propos reste toujours le même, une réflexion sur l’âme du tueur et ce sale boulot nécessaire à la paix des braves gens. On avait reproché au dernier tome Lignes de fuite sa réflexion sur la société. Il marquait déjà la transition entre une réflexion plus centrée sur le cœur de l’individu et son ouverture au monde. Nous connaissons le fond de la pensée du tueur, c’est son regard désabusé sur celui-ci et ses utopies qui prend le pas. Comment l’Etat peut-il endiguer le mal pour le bien de ses citoyens ? C’est la nouvelle réflexion du cycle, le poids de la corruption, comment l’enrayer, etc. Est-il nécessaire de faire le mal pour le bien de tous ? Comment se fondre dans la société pour la protéger de ses propres démons ? On apprécie le parallèle entre la DRH et le tueur. C’est un tango mélancolique sur nos sociétés modernes quand le bien et le mal ne sont peut-être pas si éloignés de la vie et la mort. Ils ressemblent aux deux faces d’une même pièce. C’est un premier album bien construit, jouant de l’ombre et de la lumière sur une palette de couleurs entre bleu et or du ciel à la terre. Luc Jacamon abandonne la palette graphique pour un retour au papier et à la couleur directe. Le dessin et les décors sont à l’image du texte, sans heurts, dans cette violence mélancolique intérieure, au graphisme tout en douceur et rondeur, comme le physique du tueur. Le cadrage est ample, mettant en valeur les visages et paysages dans l’esprit de la ligne claire. C’est un retour prometteur, à suivre.

Patrick Van Langhenhoven

 

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