Greta Thunberg, Edward Snowden, Denis Mukwege, tous lauréats du Right Livelihood Award, plus connu sous le nom de « prix Nobel alternatif ». Un prix qui  récompense les personnes ou associations qui travaillent et recherchent des solutions pratiques et exemplaires pour les défis les plus urgents de notre monde actuel.

 

Pour l’édition 2021, c’est la Camerounaise Marthe Wandou qui a été récompensée. Le 1er décembre prochain, à l’occasion de la soirée de remise des prix qui se déroulera en Suède, elle recevra son prix. En attendant, nous avons échangé avec elle.

Qu’est-ce que vous avez ressenti, quelle a été votre réaction lorsque vous avez appris que vous étiez lauréate du Nobel Alternatif ?

MW : Il y’a eu beaucoup d’émotion et beaucoup de surprise. Je ne m’attendais pas à cela et je me demande toujours comment mon nom ainsi que le nom de mon organisation sont arrivés à un si haut niveau. Cette nouvelle m’a fait ressentir de la force, de la fierté et de la reconnaissance par rapport à ce qu’on fait. J’ai aussi pensé directement à tous ces enfants victimes et à ces femmes que nous accompagnons, ainsi qu’à mes collègues. Dans tous les cas, l’annonce du prix Nobel Alternatif ne m’a pas laissée indifférente.

Pouvez-vous nous en dire davantage sur le combat que vous menez ?

MW : Plutôt que parler de combat, je préfère parler du travail que je fais. Depuis une trentaine d’années déjà, avec mon association ALDEPA (Action locale pour un développement participatif et autogéré), ce travail consiste à réfléchir à comment promouvoir les droits des enfants et des femmes, assurer la prise en charge efficace des enfants et femmes victimes de violences sexuelles, de violences basées sur le genre, et enfin d’inciter les acteurs à collaborer afin d’apporter un appui durable aux personnes dans le besoin.

Quel a été l’élément déclencheur de cet engagement ?

MW : L’élément déclencheur a été mon parcours. J’ai vécu dans un milieu très traditionnel qui imposait de nombreuses restrictions et contraintes aux femmes. Et lorsque j’ai eu la chance d’aller à l’école, beaucoup de personnes ont voulu me décourager en agitant la perspective négative de la femme qui fait des études supérieures et qui de ce fait n’aura jamais de mari, ne sera pas une bonne épouse. À ce moment, j’ai compris qu’il fallait agir à la base, c’est à dire auprès des jeunes filles, notamment en activant le levier de l’éducation et en créant un espace où elles seraient capables d’assumer des missions de leadership et d’entrepreneuriat.

Quand vous avez débuté votre engagement en faveur des droits des femmes comment cela a-t-il été perçu dans votre entourage ? Vous cassiez sans doute les codes non?

MW: Rien n’a été facile, ni au début ni maintenant. La réaction des uns et des autres dépend beaucoup de ce par quoi ils ont été influencés dans leur processus de socialisation, notamment la culture et les traditions. Quant à moi, je crois fortement qu’il faut consacrer son énergie positive à ce qui peut nous projeter beaucoup plus loin .

Quelles sont les personnes qui vous ont inspirée et vous inspirent au quotidien ?

MW : Comme petite fille il y’a eu Madame Tsanga Delphine * ndlr dont j’entendais parler comme étant la seule femme ministre au Cameroun, et Madame Yao Aissatou* ndlr… Puis Margaret Tatcher dont l’influence dans le monde a été très importante. Toutes ces figures étaient pour moi des modèles de femmes capables d’atteindre des objectifs au haut niveau. Enfin, plus personnellement , il y’a eu mes parents : ma mère par son dynamisme et mon père pour l’éducation basée sur la valeur du travail qu’il nous a inculquée.

Diriez-vous que vous êtes féministe ?

MW : Si l’on considère que toute femme qui travaille en faveur les droits des femmes et lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles est féministe alors oui je suis féministe. Cependant, j’aimerais apporter des précisions: Parfois les gens disent « féministe » de manière péjorative. Ce qui me convient le mieux c’est de me définir comme  «gender activist », parce que je ne travaille pas que sur une vision fémino-centrée. Par exemple, je constate qu’il y’a des petits garçons qui subissent également des contraintes dans leur vie à cause des discriminations sexistes qu’ils ont vécues.

Au Cameroun et en Afrique subsaharienne de manière générale les sociétés sont encore très patriarcales. Vous qui êtes engagée pour les droits des femmes depuis plus de vingt ans, trouvez-vous qu’avec les nouvelles générations les choses avancent plus rapidement ?

MW : Effectivement les choses changent. Beaucoup plus de femmes commencent à prendre conscience de leur potentiel, de leur capacité à pouvoir entreprendre et réussir. Il y’a également de plus en plus de jeunes filles qui s’affirment, notamment dans des domaines qu’on a souvent eu l’habitude de réserver aux garçons. Alors, oui il y’a des changements, mais il y’a encore du chemin à faire pour que les femmes occupent des positions de leadership, notamment dans le champ politique. D’ailleurs, la région de l’extrême nord est un exemple puisque dans toute cette région il n’y a pas une seule femme maire de commune alors qu’il y’a plus de 50 communes.

Concernant les jeunes hommes, pensez-vous qu’ils ont davantage conscience des combats relatifs à l’égalité des genres ?

MW : Je pense qu’il y’en a qui sont conscients du fait qu’ils ont un rôle à jouer dans la promotion des droits des filles, mais aussi dans les relations hommes-femmes, garçons-filles. Ils comprennent l’importance d’entretenir des relations saines et deviennent des ambassadeurs, ou comme nous les appelons, des « jeunes leaders promoteurs des droits humains ». Après, moi je ne veux pas généraliser en disant que ce sont les hommes et les garçons qui constituent l’unique problème. Parfois il y’a aussi l’ignorance qui s’imposent à tous. Donc, avec un travail d’éducation et de formation, on peut parvenir à engager les jeunes garçons dans la voie de la promotion de l’égalité hommes-femmes.

Si vous aviez un seul message à faire passer, quel serait-il ?

MW: Le message que je voudrais faire passer est celui de l’appel aux acteurs de quels que niveaux et de quels que milieux qu’ils soient,  à une mobilisation effective en faveur du droit à l’éducation pour tous les enfants. Pour ce faire, il me paraît essentiel de régler un certain nombre de questions, dont  la question essentielle des certificats de naissance des enfants. Aujourd’hui, ils sont encore trop nombreux à ne pas en avoir et cela constitue un véritable frein à leur éducation. À cela s’ajoute la question des violences en milieu scolaire, et la question de l’emploi des jeunes. De manière plus générale, il est important que tous les acteurs s’unissent autour de ces différents sujets.

 

Entretien mené par Sarah GIORIA NDENGUE

 

  • Tsanga Delphine ( députée,  haut fonctionnaire de l’ONU, première femme ministre au Cameroun)
  • Yao Aissatou ( haut fonctionnaire, première femme ministre de la condition féminine, militante pour la cause des femmes)

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