E06-1-21 Brigitte et Agatha - Photo Brigitte Kerneol

Née dans les Vosges, adolescente à Nancy, étudiante en Sorbonne jusqu’en maîtrise de philo, Brigitte Kernel travaille un temps pour la presse écrite (Le Matin de Paris, La Vie française), et pour la radio avec José Artur pendant quatre ans (1985-1989). Elle est chroniqueuse littéraire dans Place aux livres sur LCI auprès de Patrick Poivre d’Arvor et dans Rive droite, rive gauche de Thierry Ardisson sur Paris Première.

Ève Ruggieri la repère. Grâce à elle, pendant sept ans, de 1989 à 1996, elle produit et anime sur les ondes de France Inter une émission littéraire, quotidienne et nocturne, Noir sur blanc, dont le générique est composé par un autre Vosgien : René Arnould. Suivront d’autres émissions où elle reçoit tout le Gotha littéraire (Un été d’écrivains, Pourvu qu’on ait l’ivresse, Parentèle, Calame, Noctiluque, Parentèle, Dixit, Qu’importe le chemin), et où elle écrit pendant dix ans les fameux Cadavre-exquis, feuilletons hebdomadaires dont une partie est publiée chez Librio. Jusqu’au milieu de l’année 2015 où on lui signifie sans ambages que son contrat ne serait pas renouvelé à l’automne.

Mais si Brigitte Kernel parle des livres des autres, elle est aussi écrivain. Elle débute par une dizaine de livres-documents consacrés par exemple à Michel Jonasz (Seghers, 1985), Louis de Funès (Grancher, 1987), Véronique Sanson (Seghers, 1990), plusieurs autres étant coécrits avec Eliane Girard (comme Le Vrai langage des jeunes expliqués aux parents chez Albin-Michel, 1993).

En 1993 paraît Une journée dans la vie d’Annie Moore (Presses de la Renaissance), qui remporte le Prix Paul Guth du Premier roman et manque de peu le Prix Erckmann-Chatrian. La passion de raconter ne la quittera plus. Elle publie Un animal à vif (Le Masque, 2001), Autobiographie d’une tueuse (Flammarion, 2002), Tout sur elle (Flammarion, 2003), Ma psy, mon amant (Belfond, 2004), L’Amant de l’au-delà (Le Masque, 2005), Andy (Plon, 2013), et encore chez Flammarion : Les Falaises du crime (2005), Fais-moi oublier (2008), A cause d’un baiser (2012), Dis-moi oui (2015)… Autant de jolis succès de librairie.

La femme trompée

E06-1-21 Brigitte et Agatha- Photo Agatha Christie1925 E06-1-21 Brigitte et Agatha - Couv du livreVoici que paraît en ce début d’année 2016 Agatha Christie, le chapitre disparu (Flammarion), un roman qui trouve sa source dans un épisode bien réel de la vie de la célèbre romancière anglaise (15 septembre 1890 – 12 janvier 1976). Entre le 3 et le 14 décembre 1926, quelques mois après la mort de sa mère, on perd sa trace. Elle a 36 ans. La presse suppute un enlèvement, voire un suicide ou un assassinat. C’est le point de départ de ce livre qui tente de résoudre un mystère jamais réellement élucidé, la reine du crime ayant délibérément omis de donner sa propre version dans son autobiographie publiée en 1977 à titre posthume.

Les écrivains, à force d’inventer des histoires, connaissent bien, je crois, la technique propice à faire monter l’anxiété chez le lecteur (p. 25). Brigitte Kernel, qui possède cet art sur le bout des doigts, construit son roman de telle manière que le lecteur appelle chaque page avec une impatience qui va croissant. Entre chaque chapitre, ou presque, s’immisce un dialogue entre l’inspecteur chef Kenward et Archibald Christie, le mari. Le mari qui la trompe avec une secrétaire et qui lui a fait part de son intention de divorcer.

Le 3 décembre, très affectée par la mort récente de sa mère et l’infidélité patente de son époux, Agatha Christie disparaît. On retrouve sa voiture abandonnée près d’un étang. De gigantesques battues sont organisées, 15 000 bénévoles assistent la police, les journaux promettent une récompense. Le 14, on la retrouve dans un hôtel de la station balnéaire d’Harrogate, inscrite sous le nom de la fameuse maîtresse. Elle prétend ne se souvenir de rien et semble ne pas reconnaître son mari venu la chercher. Aurait-elle organisé cette disparition pour le mettre dans l’embarras ? Il obtiendra le divorce en avril 1928 et épousera sa maîtresse. En septembre 1930, Agatha convolera en secondes noces avec l’archéologue Sir Max Mallowan (6 mai 1904 – 19 août 1978), de quatorze ans son cadet. L’amour est un voyage, il faut en accepter la fin pour repartir ensuite dans un autre périple (p. 256).

Quatre-vingt-dix ans après les faits, Brigitte Kernel a porté ses pas dans ceux de son héroïne, revenant sur les différents endroits traversés par elle pendant ces douze jours. Elle n’a pas son pareil pour se placer dans la tête même d’Agatha Christie afin d’écrire, en lieu et place, ce chapitre disparu de son autobiographie. C’est d’ailleurs l’une des grandes forces de sa relation romanesque : le lecteur vit cette aventure rocambolesque au plus près de la principale protagoniste ; il vibre intimement à ce « je » qui, pour une fois, par la grâce d’une talentueuse écrivaine, pourrait bien ne pas être un « autre ».

B.V.

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