Dans son dernier livre « L’enfant que tu as été marche à coté de toi » aux éditions Gallimard, l’écrivain Gaston-Paul Effa, rescapé de l’attentat du 11 décembre 2018 au marché de Noël de Strasbourg nous raconte l’histoire de Douo. Douo est un jeune garçon consacré à Dieu dès son plus jeune âge et voué à devenir prêtre. Ce destin  le conduit à quitter non sans nostalgie son Cameroun natal pour s’installer dans un couvent en Alsace, à l’Est de la France. Ces deux périodes de sa vie ne cessent jamais de se côtoyer, mais finissent par s’entremêler lorsqu’il est confronté au pire, et que pour surmonter les blessures de l’existence, il n’a pas d’autre choix que de renouer avec l’enfant qu’il a été.

Le titre de votre dernier ouvrage est « L’enfant que tu as été marche à côté de toi ». Pensez-vous qu’il est nécessaire de savoir quel enfant on a été pour être un adulte en paix avec soi-même ?

G-PE :  Savoir quel enfant on a été importe peu. Ce qui compte c’est tout simplement de savoir qu’on a été un enfant. Se souvenir qu’on a été un enfant nous aide à retrouver la note juste, c’est-à-dire nous montre l’être que l’on doit être.

Qu’est-ce qui caractérise l’enfance pour vous ?

G-P. E : L’enfance se caractérise par l’émerveillement et l’aptitude à s’enchanter de tous les faits de l’existence. Nous vivons dans un monde qui a dressé des schémas intellectuels. L’enfance est l’état qui nous réapprend à renouer avec l’élémentaire, la simplicité.

Dans votre livre, les mots ont souvent été un refuge pour votre personnage principal Douo, que l’on accompagne dans son voyage vers l’enfance. Que représentent les mots pour vous ? Comment les appréhendez-vous ?

G-P. E : Les mots je les ai d’abord lus. Don Quichotte par exemple m’a appris que les livres transforment ceux qui les lisent. La littérature et la lecture permettent de renouer avec les mots qui s’offrent à nous.  Chaque être est un ensemble de mots, nous sommes faits de mots, raison pour laquelle lorsque nous sommes malades, lorsque nous avons peur, c’est aussi la langue qui bégaye en nous. Par exemple le terroriste est celui qui n’a plus de mots et ne s’exprime plus que par la violence.

De la même manière, l’écriture est un baume qui apaise. Remettre des mots sur les maux contribue à faire reculer la violence et la douleur.  Il nous arrive d’être des êtres désaccordés, Il est donc important de retrouver les mots les plus simples, ces compagnons de notre existence.

Votre livre fait écho à un drame que vous avez vécu, celui des attentats du 11 décembre 2018 au marché de Noël de Strasbourg. La nécessité presque salvatrice de se souvenir qu’on a été un enfant ne s’impose-t-elle que face à la gravité des situations que l’on traverse ?

G-P. E : Un drame peut effectivement faire prendre conscience de la nécessité d’effectuer ce chemin de retour dans l’enfance. Finalement, c’est également un chemin de retour sur soi. On peut l’emprunter tout seul, mais on peut également choisir de se faire aider.

Vous évoquez l’importance de se faire aider lorsqu’on entame ce cheminement. Douo par exemple a eu dans sa vie de nombreuses personnes qui ont joué un rôle important dans sa guérison. Beaucoup d’entre elles étaient des femmes. Y-a-t-il de votre part une volonté de rendre hommage aux femmes ou est-ce un pur hasard ?

G-P. E : Toutes les enfances ont ceci en commun que nous sommes tous nés d’une femme, d’une mère. Le lien que nous avons noué avec cette femme nous projette dans le mode, soit de façon armée, soit de façon vulnérable.

L’enfant c’est l’être du tout. Il est à la fois femme, homme, animal. C’est l’écoute dynamique de la mère qui éveille cet être.  D’ailleurs, Douo en rencontrant par la suite Nadine sa psychologue, réapprend à renouer avec cette écoute, et par la même occasion tente de retomber dans l’enfance.

Vous parlez plusieurs langues, d’ailleurs dans votre livre écrit dans une langue française magnifique, on retrouve également quelques mots de la langue fang.  Diriez-vous de la langue française qu’elle est votre langue maternelle ?

G-P. E : Je ne crois pas en la langue maternelle. Je suis né dans un bouillon de langues et je n’ai cessé de me baigner dans la rivière des mots.  La langue est un outil sérieux, il est important de se laisser traverser par les mots de toutes les langues, car plus qu’entendre des sons différents, elles ouvrent sur le monde, sur une mosaïque humaine.

Comment fait-on aujourd’hui pour communiquer son expérience, transmettre des connaissances, surtout lorsqu’on est professeur de philosophie comme vous ?

G-P. E : La pandémie ne doit pas nous entraver. En tant que professeur, il est nécessaire de s’adapter à toutes les circonstances.

 

Propos recueillis par Sarah GIORIA NDENGUE

 

Du même auteur

  • Tout ce bleu, roman, Grasset, 1996.
  • , roman, Grasset, 1998, sélection Renaudot, Prix Erckmann-Chatrian, Grand Prix littéraire d’Afrique noire.
  • Le cri que tu pousses ne réveillera personne, roman, Gallimard, collection Continents Noirs, 2000.
  • Cheval-roi, Le Rocher, 2001.
  • Le livre de l’alliance, essai, en collaboration avec André Chouraqui, Bibliophane, 2003.
  • Yaoundé instantanés, mélanges, Editions du Laquet, 2003.
  • La salle des professeurs, roman, Le Rocher, 2003.
  • Voici le dernier jour du monde, roman, Le Rocher, 2005.
  • À la vitesse d’un baiser sur la peau, roman, Anne Carrière, 2007, sélection Renaudot.
  • Nous, enfants de la tradition, roman, Anne Carrière, 2008.
  • Je la voulais lointaine, roman, Actes Sud, 2012.
  • Rendez-vous avec l’heure qui blesse, roman, Gallimard, collection Continents Noirs, 2015, Prix Sadler de l’Académie Stanislas.
  • Sous l’apaisante clarté, poèmes, en collaboration avec Jean-Philippe Goetz, Tertium éditions, 2015.
  • Le dieu perdu dans l’herbe, l’animisme, une philosophie africaine, essai, Presses du Châtelet, 2015, Grand Prix de l’Institut maçonnique de France.
  • Les parfums élémentaires, Gallimard, collection Haute enfance, 2019.
  • La verticale du cri, Gallimard, collection Continents Noirs, 2019.

 

 

 

 

 

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