Frédéric Ploussard est l’auteur du roman « Mobylette » paru aux éditions Héloïse d’Ormesson, prix Stanislas du premier roman, prix « Angoulême se livre », meilleur premier roman francophone.

Un  roman aussi truculent que succulent qui plonge le lecteur dans une alternance continue entre la drôlerie des mots et la dureté des sujets.

Depuis la parution de votre livre, les adjectifs qui reviennent le plus lorsqu’on veut le définir sont: drôle, déjanté, déglingué. Mais vous comment définissez-vous votre roman finalement ?

FP : Moi quand je définis ce livre, je dis que c’est un livre social et drôle. Il a une certaine profondeur car il aborde des sujets aussi sérieux que les enfants placés et la noble profession d’éducateur spécialisé, mais c’est aussi je crois un livre qui fait rire.

Effectivement il y’a dans ce livre beaucoup d’humour. Pensez-vous que sans cela les sujets auraient été plus difficiles à aborder ?

FP : C’est une question que je ne me pose pas trop, puisque c’est ma façon d’écrire. Sur tous les sujets, j’aime bien faire ce petit pas de côté, ce détour par l’humour et le sarcasme. Je ne voulais pas faire un Ken Loach, de toutes les façons je ne pense pas que j’en serais capable. Et puis sans l’humour, cela aurait été un empilement de sujets bien tristes et bien glauques.

Et dans la vie de tous les jours, êtes-vous une personne drôle ?

FP : Je pense que l’humour m’a servi d’arme pour me protéger. J’ai toujours été le grand qui faisait rigoler.

Vous dites que l’humour vous a protégé, qu’en-est-il de la littérature ? Quand est-ce qu’elle est entrée dans votre vie ?

FP : La littérature, je dirais qu’elle m’a sauvé à plusieurs moments. Elle est entrée dans ma vie à la préadolescence. J’étais déjà très grand de taille, le basket me courrait après, tout le monde me disait d’en faire. Mais à ce moment là, j’ai découvert la bibliothèque municipale de mon bled où je pouvais emprunter des livres. Je me souviens qu’à l’issue de mes lectures, je me demandais souvent comment pouvait-on écrire des choses comme ça avec ce talent là ? Plus tard mon éditrice m’a comparé à John Kennedy Toole et ça m’a vraiment fait plaisir. C’ est un auteur qui a eu une importance capitale dans ma vie et que j’ai offert des centaines de fois.

Quant à l’écriture, j’ai toujours un peu écrit. J’étais plutôt un bon élève à l’école. La philosophie et le français ça m’a toujours branché. En plus j’ai toujours fait un peu d’art: je dessinais, je sculptais, et j’écrivais, en me disant qu’en fonction de ce que la vie me réserve, je pourrai m’y mettre plus sérieusement ou pas. Et comme tout un chacun, la vie m’a mis quelques claques et je me suis mis à écrire plus sérieusement il y’a quelques années.

Comment avez-vous choisi le thème de ce premier livre ? S’est-il imposé à vous ?

FP : « Mobylette » n’est pas mon premier manuscrit mais plutôt le quatrième ; et effectivement cela me paraissait intéressant d’aborder le sujet de l’éducation spécialisée, d’abord parce que j’en ai une certaine expérience, ensuite parce que je pense que c’est un sujet qui n’est jamais abordé sous l’angle que j’ai choisi. Trop souvent on présente ces enfants sous leur versant violent et comme des délinquants, alors que ce sont des gosses et des victimes avant tout. Donc ma volonté était vraiment de parler de ce métier d’éducateur, de ses difficultés, et surtout de ces enfants que la société s’emploie à mettre à l’écart.

Votre livre dans le sujet qu’il aborde et l’angle choisi rappelle le livre « Dans l’enfer des foyers » du militant Lyes Louffok, lui-même ancien enfant placé et son film « L’enfant de personne » diffusé sur France 2 au mois de novembre. Ce sont des sujets dont on commence à s’inquiéter plus sérieusement semble-t-il. Mais diriez-vous que la France reste encore à la traîne ?

FP : Clairement ! En France quand on parle d’éducation spécialisée, on ne parle que de handicap très souvent. Pourtant l’éducation spécialisée ne se résume pas à cela. Pour la petite anecdote, j’ai été éducateur auprès de personnes handicapées pendant près d’un an et demi, et presqu’à chaque fois qu’on organisait des sorties en ville, des gens venaient me voir en me disant « bravo ». Cela m’énervait profondément parce que je voulais leur demander pourquoi ils me disaient « bravo ». Ensuite j’ai bossé près de 20 ans avec des « délinquants », et là personne n’est jamais venu me voir pour me féliciter. Elle est là la différence. Donc si mon livre peut contribuer à ouvrir une petite brèche, donner à penser à cette prise en charge des enfants, c’est tant mieux.

Dans ce livre il y’a l’histoire de ces enfants mais il y’a aussi l’histoire de Dominique, cet éducateur trop grand qui a du mal à trouver sa place. Vous aussi êtes très grand de taille, diriez-vous que l’on est discriminé lorsqu’on est trop grand?

FP : D’une certaine façon oui. Mais il y’a surtout de la part des gens une incompréhension. Ils nous disent «Tu es grand, moi je rêverais d’avoir ta taille, pourquoi tu te plains ?». Adolescent je l’ai bien senti passé. Mais avec la maturité j’ai commencé à mieux l’encaisser, cela m’a donné à réfléchir et m’a même souvent fait rire. L’aborder dans ce livre me paraissait intéressant parce qu’une fois de plus l’angle d’attaque me semblait inattendu. Dans notre société où on nous dit « relève la tête », si le grand relève la tête il ne voit personne. Il est donc obligé de baisser la tête.

Vous avez choisi comme toile de fond de votre livre la Lorraine dont vous êtes originaire. Elle est souvent décrite de manière assez sinistre, n’êtes-vous pas trop dur avec cette région? 

FP : C’est une région qui a beaucoup souffert. J’y ai eu une enfance rock’n’roll mais pas si terrible que cela. En travaillant mon roman, elle a vraiment pris de l’épaisseur et est quasiment devenue un personnage. Mais je peux aussi dire que c’est une région qui n’est pas rancunière, puisque j’ai eu le prix Stanislas du premier roman, et encore maintenant, j’échange souvent avec des libraires vosgiens qui n’hésitent pas à me dire le bien qu’ils pensent du livre.

Comme vous le disiez, vous avez eu le prix Stanislas du premier roman. Votre livre a été encensé par quasiment tous les critiques littéraires, comment avez-vous vécu ce succès ?

FP : C’est vrai que ce succès a été assez tumultueux. J’ai fait près de cinq salons en deux mois et je constate effectivement qu’il y’a de l’enthousiasme autour de « Mobylette ». C’est plaisant, mais c’est aussi tout ou rien. Actuellement je suis dans tout. Mais par la suite, on verra bien comment je vais pouvoir reprendre mon écriture de manière plus apaisée.

Comment écrivez-vous ? De manière frénétique ? Ou alors selon vos moments d’inspiration ?

FP : J’écris assez régulièrement, j’ai la chance de ne pas avoir le problème de la page blanche. Souvent je me retrouve en train d’écrire pendant 12 ou 14 heures et après seulement je dégraisse selon différents niveaux de lecture et de relecture. Tout dépend vraiment de comment ça prend.

Qu’est ce qui fait un bon premier roman  finalement?

FP : Pour moi un bon premier roman c’est une bonne histoire. Il faut emmener le lecteur sur des chemins un peu inconnus, sans que ce ne soit à l’autre bout du monde. Dans ce premier roman c’est ce que j’ai essayé de faire; en essayant de faire rire au passage.

 

ENTRETIEN MENÉ PAR SARAH GIORIA NDENGUE

 

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