« Souriez ! Vous êtes filmé ! » Voici une phrase que chacun aura entendu au moins une fois dans sa vie.

De la photo on a l’habitude de dire qu’elle permet d’immortaliser un moment, de graver dans la mémoire un souvenir que l’on souhaite indélébile. Mais aussi novateur que fut ce pouvoir, à l’aune d’une société en perpétuelle évolution, il est intéressant de constamment réinterroger la façon dont cet objet « la photo » s’est imposé à la fois comme outil d’ancrage des mœurs dans les sociétés et témoin fidèle de toutes les transformations et mouvements historiques.

Studio Gemineye fait partie de ces photographes autodidactes qui dans la photographie voient un outil militant aussi sensible que puissant. La devise ? Sur l’autel de l’esthétique ne jamais rien sacrifier, et toujours essayer de véhiculer un message, une idée. Et pour cause, à travers ses clichés, la quête de représentation du beau est toujours subtilement accompagnée d’une volonté de représenter le monde autrement, sans ses préjugés, sans les diktats qui nous empêchent de vivre.

Studio GeminEye vous êtes installé à Nancy depuis maintenant de nombreuses années. Quelle perception avez-vous de la culture à Nancy ?

SGE :Je trouve que Nancy est une ville étudiante qui n’est pas encore totalement encline aux tendances. Mais ces dernières années, on constate chez les différents acteurs du monde culturel une volonté de faire bouger les choses, de proposer des événements qui sortent des sentiers battus. La culture s’ouvre de plus en plus sur des choses qui n’existaient pas. Je pense notamment au drag show qui s’est tenu en fin d’année 2022 «  Drag Race France Live à la salle Poirel NDLR »

Comment êtes-vous venu à la photo ?

SGE : Il faut dire que j’ai d’abord commencé à faire de la photo pour le fun. D’ailleurs à mes débuts mon seul outil était un téléphone. Puis un jour j’ai commencé à partager mes photos sur les réseaux sociaux et j’ai été repéré par un autre photographe-Jean-Baptiste Soros. C’est lui qui a détecté la dimension artistique de mon travail et qui d’ailleurs m’a offert mon premier vrai appareil photo. Aujourd’hui ça fait un peu plus de six ans que je fais de la photo comme, mais il y’a 8 mois, j’ai décidé j’ai décidé d’aller plus loin en ME professionnalisant.

Comment décririez-vous le style de vos photos ?

SGE : Si je devais choisir quelques mots pour décrire mon style, je dirais queer, sensible, sensuel et très esthétique. Ensuite il y’a dans mon travail un enjeu psychologique et social. Enjeu psychologique parce que faire de la photo c’est également pour moi un moyen de se sentir bien, de communiquer avec soi et les autres. Je mets beaucoup de ma personnalité dans les shoots et je crois que les gens restent aussi pour ça. Et enjeu social parce que certaines personnes en voyant mon travail peuvent trouver une résonance avec des situations qu’elles vivent, des choses qu’elles connaissent. Par exemple dans la plupart de mes photos on retrouve souvent un homme qui se met en scène dans des situations de vulnérabilité. À travers cette démarche, mon but c’est aussi de déconstruire une certaine représentation de la virilité toxique encore très présente dans la société.

Effectivement, il y’a dans vos photos plusieurs messages souvent adressés très subtilement. Diriez-vous de vos photos qu’elles sont politiques  et ou militantes?

SGE : Quand j’ai commencé à faire de la photo mon objectif premier était de me concentrer sur la dimension esthétique. Mais plus j’avance, plus je me rends compte que mes photos sont totalement politisées et me permettent de mettre en lumière des sujets de société comme l’écologie ou la sexualité. Elles véhiculent un message. Lorsque je parle de déconstruction de la virilité toxique par exemple, je souhaite que cette réflexion aille plus loin, qu’elle débouche sur quelque chose de concret. Une cohabitation saine entre existants par exemple.

Lorsque vous avez décrit le style de vos photos, le premier mot employé a été queer. Mais ce qui est intéressant dans votre travail c’est également la volonté de l’ouvrir à tous les publics. À ce propos quel est le retour que vous avez des personnes hétéros qui découvrent votre travail ?Est-ce quelque chose dont vous vous préoccupez ?

SGE : Pour être tout à fait honnête, lorsque ce sont des femmes hétéros qui découvrent mon travail, la plupart du temps elles trouvent que c’est génial et libérateur. En ce qui concerne les hétéros masculins, je constate qu’ils sont souvent gênés. Mais cela ne me dérange pas du tout. Au contraire ! D’abord je trouve que cette gêne est nécessaire. Ensuite, si je faisais quelque chose de lisse, très franchement, j’aurais eu du mal à trouver de la motivation au quotidien.

La société de manière générale semble être une véritable source d’inspiration pour vous. Mais existe-t-il des sujets qui vous inspirent plus que d’autres ?

SGE : Mes photos naissent en majeure partie de l’injustice que je ressens au quotidien dans la société, et de ma volonté de travailler sur les questions de représentation.

Après toutes ces années de pratique diriez-vous qu’il existe une « patte » Gemineye ? Si oui quelle est-elle ?

SGE : Gemineye c’est d’abord une volonté de créer des concepts en partant de rien. Dans mes décors j’utilise beaucoup de matériaux recyclés. Par conscience écologique je n’hésite pas à faire de la récupération. Je ne me vois pas acheter du neuf à chaque fois que je travaille sur un projet. Ensuite, l’empreinte du studio Gemineye c’est aussi le recours aux éléments floraux : J’adore cette connexion à la nature, le fait de me challenger à un élément existant. Enfin, il y’a une volonté omniprésente de bousculer les codes de la mode masculine, tout en conservant quelques symboles-le costume par exemple. À travers mes photos je cherche à montrer que ce ne sont pas que les personnes Queer qui peuvent se sentir féminines. Une fois de plus, on en revient à ce désir de voir des êtres différents cohabiter.

Effectivement lorsqu’on interroge l’essence de votre travail en tant qu’artiste photographe, apparaît assez rapidement la volonté de mettre fin à la dualité féminin/masculin, notamment en cassant les codes de la masculinité, et en permettant aux hommes d’assumer leur féminité. Mais finalement cette féminité elle passe par quoi pour vous ?

SGE : Pour moi la féminité c’est un tout. Tu es en paix quand il y’a de l’harmonie en toi. Ce n’est pas une histoire de fleurs et de roses. Et cette harmonie, elle passe aussi par l’affranchissement du négatif, et surtout l’affranchissement du regard de l’autre. Le plus souvent c’est dans ce regard que se façonnent les notions de féminité et masculinité. Il ne faut pas hésiter à le répéter : C’est ok d’être soi, peu importe ce que les autres ont a dire sur nous. Je pense que ce serait dommage de tomber dans le piège de se fondre dans la masse pour être heureux. La vie est trop courte pour la vivre cachée. Et c’est vraiment ce à quoi je pense lorsque je fais mes photos.

Entretien mené par SARAH GIORIA-NDENGUE

https://www.instagram.com/studio_gemineye/

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