« Ellia, petite fille de Nana Benz, rentre au pays après vingt ans d’absence pour organiser les obsèques de sa grand-mère qui l’a élevée. Elle découvre un pays ravagé par la corruption et le chômage des jeunes pétris de talent ; mais aussi, renoue avec un amour d’enfance qui, vraisemblablement, a résisté à l’épreuve du temps. Entre rester ou repartir aux USA, Ellia doit surtout découvrir le mystère du pagne de sa grand-mère. Une quête qui lui permettra de nous conter l’histoire fabuleuse de l’émergence et du déclin de la corporation des Nana Benz, ces femmes africaines analphabètes dans leur majorité, devenues par la vente du célèbre pagne « africain » wax, des femmes d’affaires multimillionnaires ».

 

Yvette Balana est une auteure et universitaire camerounaise.  Le Pagne de ma grand-mère paru aux éditions Proximité (Yaoundé)  est son premier roman.

Dans le cadre du salon littéraire Livres d’Ailleurs (Nancy), nous l’avons rencontrée.  S’en est suivi un entretien que nous vous livrons ici.

Pourquoi avoir écrit sur les Nana Benz?

YB: Le choix des Nana Benz s’explique par le fait que j’ai toujours eu l’ambition d’écrire un roman qui rompt avec un dolorisme et un certain misérabilisme entretenus par les écrivains africains, parfois avec le bon sentiment de dénoncer la prédation et les problèmes de gouvernance que connaît l’Afrique. Le roman que j’ai toujours voulu écrire est celui mettant en scène des personnages africains grandioses. C’est dans cette perspective que les Nana Benz se sont imposées à ma conscience. Il s’agit bien de femmes africaines (togolaises précisément) qui ont réussi le pari de devenir des opérateurs économiques de poids ; qui sont entrées de plein pied dans la mondialisation en vendant un pagne fabriqué hors de leurs pays.

Ces femmes très tôt ont recherché l’indépendance financière. Elles ont également eu des positions sociales importantes. Diriez-vous à posteriori qu’elles ont contribué à tracer la route du féminisme en Afrique ?

YB: Si le féminisme se résume au fait que les femmes soient des combattantes et occupent des positions sociales importantes, il faut dire que les Nana Benz qui émergent dans le tournant des années 1970, ne sont pas des pionnières en la matière. Bien avant elles, les femmes ont lutté contre la pénétration occidentale en Afrique, en tant que guerrières et souveraines redoutables ; elles ont marqué les luttes indépendantistes en Algérie et au Cameroun. A la fin des années 1950, les Egyptiennes ont obtenu le droit de vote de haute lutte. Les exemples sont si nombreux qu’on ne peut tous les citer dans le cadre de cet entretien.

Dans le livre, les hommes même s’ils ont une présence importante, apparaissent surtout au seconf plan, comme soutiens des femmes de ce livre, comme s’il y’avait une volonté de montrer un autre visage la figure masculine. Est-ce un hasard ou un choix de votre part ? S’il s’agit d’un choix pourquoi ?

YB: Je n’ai pas délibérément choisi de « déviriliser » les hommes, pour employer le mot d’un lecteur lors de la séance de dédicace qui a suivi immédiatement la publication de ce roman. A vrai dire, je n’y ai même pas pensé pendant l’écriture de ce livre. J’avais un « motif » principal, c’était les Nana Benz. Il est important de prendre le mot « motif » dans son sens pictural, c’est-à-dire le sujet d’une peinture. Tous les autres personnages surgissaient au gré de ce motif, même Ellia le personnage principal. Au départ, elle ne voit le jour que pour montrer que des femmes analphabètes envoyaient leurs enfants faire leurs études dans les grandes universités de par le monde.

Ce livre pose également un regard absolument pertinent sur les relations entre Afrique et Europe et Afrique et Chine. L’objet qui permet cette réflexion ici est le pagne, mais c’est une discussion que l’on peut ouvrir dans de nombreux autres domaines. Quelle analyse faites-vous de la place des femmes africaines dans l’économie mondialisée aujourd’hui ?

YB: En effet, le pagne peut constituer un prétexte pour décrypter la qualité des relations commerciales que l’Afrique entretient avec le reste du monde. Au vu du grand déséquilibre qui marque ces relations, on peut relativiser la réussite des Nana Benz, autant que celle des riches commerçantes de Dakar, dont l’entrepreneuriat, bien que louable, les réduit à occuper la périphérie du commerce mondial, tout en faisant les bonnes affaires des grandes firmes européennes et asiatiques. Pour autant, il faut insister sur un fait qui est admis et prouvé dans le domaine de l’entrepreneuriat : les femmes africaines constituent une exception planétaire, qu’elles soient exportatrices de cacao ou vendeuses de pagnes. Elles créent des richesses et participent majoritairement à l’économie de leurs pays.

Ellia qui est le personnage principal de votre livre est ce qu’on peut appeler une « repat ». à travers son regard, ce sont aussi les sujets de la désillusion, de la complémentarité et/ ou de l’opposition entre deux cultures appartenant à une même personne qui sont posés. Dans votre livre on retrouve deux cadres spatiaux, les USA et un pays d’Afrique qui d’ailleurs n’est pas identifié. Pourquoi ce choix ?

YB: Il y a chez Ellia ce regard de l’immigré africain que vous résumez si bien. La question de l’immigration suscite mon intérêt en tant que professeur de littérature et romancière. Elle sera d’ailleurs au centre de la suite que je compte donner à ce premier roman. Le choix de deux cadres spatiaux s’inscrit dans cette mouvance. Pour les USA, il a été fait à dessein, dans l’optique de montrer jusqu’où pouvait aller l’ambition des Nana Benz. Le deuxième cadre n’est pas clairement identifié parce qu’il s’agit de ne pas confiner les problèmes de l’immigré africain à un seul pays du continent.

Il y’a quelques semaines vous étiez invitée au salon littéraire Livre d’Ailleurs. En quoi est-ce important d’avoir des espaces de ce genre autour de la littérature en Afrique  ?

YB: Pour moi qui enseigne la sociologie de la littérature, la participation au salon littéraire « Livres d’Ailleurs » de Nancy, en tant que romancière, constitue un moment important ; car, la littérature n’existe et ne s’institue que dans le cadre des cénacles. Que des rencontres de ce type se tiennent en Europe sur la littérature produite en Afrique, est donc opportun. Cependant, il est essentiel que de tels salons se multiplient aussi sur le continent africain.

Vous êtes également professeur de littérature à l’université. Finalement quel outil représente la littérature lorsqu’il s’agit de dire le monde ?

YB: Plus qu’un outil, « la littérature est une saisie symbolique du monde ». Telle est la définition que je donne de la littérature aux étudiants. Bien plus, il s’agit d’un regard aiguisé sur la réalité qui nous entoure, que celle-ci heurte ou caresse dans le sens du poil.

 

Entretien mené par Sarah GIORIA NDENGUE

 

 

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