photo Catherine Hélie, Gallimard

Le 08 décembre 2020, le Prix Erckmann-Chatrian 2020 a été attribué à l’unanimité au poète Richard Rognet « pour l’ensemble de son œuvre ». Une œuvre vaste et riche qui depuis les années 1970 le place au premier rang des poètes français et au-delà.

À cette occasion, l’auteur a accepté d’accorder au magazine Lumières en Arts un entretien autour de sa vision de la poésie, ses inspirations, son rapport à sa terre d’origine la Lorraine et la place du lecteur dans son œuvre.

 

Quel regard portez-vous sur l’époque en tant que citoyen et en tant que poète:

R.R : C’est une époque troublante, notamment en ce qui concerne la gestion de la vie quotidienne. Mais en tant que poète, la Covid n’a pas vraiment changé les choses puisque pour moi l’écriture a toujours été un besoin, quelque chose de presque physiologique.

Ecrivez-vous comme vous respirez ?

R.R : Oui absolument, le souffle c’est quelque chose qui circule, cela vient de l’intérieur. Mais je suis surtout un observateur, je regarde autour de moi depuis l’enfance : les paysages vosgiens, les arbres, je suis une personne sensible à l’infiniment petit et à l’infiniment grand, je questionne toujours comment l’homme se situe entre ce qu’on peut qualifier de microcosme et le macrocosme.

Vous êtes particulièrement attaché à la Lorraine, est-ce important pour vous d’évoluer dans un environnement que vous connaissez presque par cœur ?

R.R : On ne connait jamais totalement un lieu par cœur, il varie toujours. De plus je reste très sensible à la métamorphose, ouvert au regard sur l’extérieur et aux différents domaines d’exploration. J’ai toujours considéré que plusieurs personnes m’habitaient.  En outre, la poésie n’est jamais un seul chemin rectiligne, il faut creuser, explorer, changer.

Au regard de tout ceci considérez-vous que tout artiste est un aventurier ?

R.R : Ce qui est certain c’est qu’un artiste ne peut pas s’exprimer s’il ne sort pas des sentiers battus, s’il ne prend pas de risques, y compris par rapport à sa propre identité, par rapport à ce qu’il est ; mon identité par exemple, je n’ai toujours pas réussi à en faire le tour.

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur la littérature en général et la poésie en particulier?

R.R : Il y’a beaucoup de diversité et c’est tant mieux. Cependant, la poésie n’a pas la place qu’elle devrait avoir aujourd’hui, elle est étouffée. Ceci est d’autant plus paradoxal que chaque homme porte en lui un sentiment poétique, même s’il n’a pas la capacité de l’utiliser pour en faire un poème.  C’est d’ailleurs à ce moment qu’intervient le poète car il réussit à transformer ce sentiment poétique en poème.

Le poète est créateur d’émotions.  Au-delà et peut-être en dehors de se raconter, la poésie c’est d’abord la rencontre entre un poème et un lecteur. D’ailleurs, je tiens à rendre hommage au lecteur, car il a autant de place que le créateur lui-même. Chaque lecteur appréhende une œuvre d’une manière singulière, il y’a donc autant de lectures d’une œuvre que de lecteurs. D’ailleurs, même lorsqu’un poème est écrit à la première personne, le « je » est un autre, ce n’est pas un « je » personnel mais un « je » qui est une sorte de décalque de l’autre.

Votre œuvre, votre carrière ont été récompensées par plusieurs prix d’envergure nationale et internationale et plus récemment par le prix Erckmann-Chatrian à l’unanimité du jury. Est-ce qu’il vous arrive d’être blasé ?

R.R : Un prix c’est toujours un compliment. Je suis très fragile de nature et c’est toujours une reconnaissance qui cimente quelques failles. Concernant le prix Erckmann-Chatrian, c’est une reconnaissante d’autant plus importante que c’est un prix lorrain et moi je viens de la Lorraine.

Quels sont vos projets d’écriture ?

R.R : Je chemine beaucoup à travers les mots sans forcément penser à la publication. C’est un besoin physique. J’interroge constamment le rapport entre la mobilité et l’immobilité, j’aime faire dialoguer l’invisible et le visible. D’ailleurs, je conçois l’écriture comme l’ensemble des pointillés qui constituent une ligne. Autrement dit, l’invisible qui se glisse pour constituer le visible.

 

Photo: Catherine Hélie, Gallimard

 

Distinctions :

  • Prix Charles-Vildrac 1978
  • Prix Louise-Labé 1985
  • Prix Max-Jacob 1989
  • Prix Théophile-Gautier 1993
  • Prix Guillaume-Apollinaire 1997
  • Prix Louis-Montalte 1998
  • Grand Prix de Poésie de la Société des Gens de Lettres 2002
  • Prix Cadet Roussel 2018
  • Prix de poésie Pierrette-Micheloud 2018
  • Prix Erckmann-Chatrian pour «l’ensemble de son œuvre»

 

Œuvres :

  • Spasmes, 1966
  • Tant qu’on fera Noël, les Paragraphes littéraires de Paris, 1971
  • L’Épouse émiettée, Editions Saint-Germain-des-Prés, 1977
  • Les Ombres du doute, Belfond, 1979
  • Petits poèmes en fraude, Gallimard, 1980
  • L’Éternel Détour, Le Verbe et l’Empreinte, 1983
  • Le Transi, Belfond, 1985
  • Je suis cet homme, Belfond, 1988
  • Maurice, amoroso, Belfond, 1991
  • Recours à l’abandon, Gallimard, 1992
  • Recul de la mélancolie, Amis de Hors Jeu, 1994
  • Chemin Bernard, Le verbe et l’empreinte, 1995
  • Lutteur sans triomphe, L’Estocade, 1996
  • La Jambe coupée d’Arthur Rimbaud, éd. Voix-Richard Meier, 1997
  • L’Ouvreuse du Parnasse, Le Cherche Midi, 1998
  • Seigneur vocabulaire, La Différence, 1998
  • Juste le temps de s’effacer suivi de Ni toi ni personne, Le Cherche Midi, 2002
  • Belles, en moi, belle, La Différence, 2002
  • Dérive du voyageur, Gallimard,2003
  • Le Visiteur délivré, Gallimard, 2005
  • Le Promeneur et ses ombres, Gallimard, 2007
  • Un peu d’ombre sera la réponse, Gallimard, 2009
  • Élégies pour le temps de vivre, Gallimard, 2012
  • Dans les méandres des saisons, Gallimard, 2014
  • Les Frôlements infinis du monde, Gallimard, 2018
  • La Jambe coupée d’Arthur Rimbaud, L’Herbe qui tremble, 2019

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