Les Impatientes c’est l’histoire de trois femmes : Ramla, Hindou et Safira unies dans la même condition et le même destin, être une femme et se marier. Mais loin d’être la concrétisation d’une idylle amoureuse, le mariage pour elles apparait plutôt comme le début d’un tumulte auquel elles doivent faire face, armées de leur seule patience. Dans cette aventure censée être l’engagement de deux cœurs l’un envers l’autre, seules les volontés masculines font loi, au détriment des volontés tues de femmes qui n’ont d’autre choix que de s’en accommoder, de patienter.
Ramla est une jeune fille intelligente, espiègle et dont le caractère trop téméraire rompt avec le ton toujours conciliant des femmes autour d’elles. Contrairement à la plupart des femmes de son entourage qui rêvent de mariage depuis leur tendre enfance, elle désire poursuivre ses études jusqu’à l’université et devenir pharmacienne. Le mariage ? Elle ne voudrait s’unir qu’à un homme qui partage ses convictions et l’encourage dans son ambition. Si son rêve semble un temps encouragé par un père attentif, l’inattendue demande en mariage d’un des hommes d’affaires les plus riches de la région suffit à interrompre tout ce à quoi elle aspirait jusqu’ici. Elle qu’autrefois on admirait pour son instruction et son ambition se voit désormais décrite comme cette jeune fille impétueuse et insolente à qui l’école a fait oublier l’impératif premier d’une femme, se soumettre. C’est donc sous la contrainte qu’elle finit par épouser en deuxième noce cet homme dont l’âge aurait pu faire de lui un père pour elle.
Si Ramla et Safira doivent désormais s’accommoder de leur statut de coépouses, la douleur d’un ménage qu’elles n’ont pas voulu est bien la seule chose qu’elles partagent. Mais tandis que l’une nourrit l’espoir d’en sortir un jour, l’autre ne tarit pas de stratagèmes pour récupérer ce foyer que l’arrivée d’une deuxième épouse a plongé dans un péril imminent. Afin de parvenir à ses fins, Safira ne ménage aucun moyen, même pas le recours à la sorcellerie.
Si la polygamie est l’une des raisons qui achèvent les mariages parfois de manière inopinée, certains commencent avec la certitude d’être déjà voués à l’échec.
Hindou, troisième femme du livre et cousine de Ramla fait partie de celles à qui le mariage n’a jamais offert une once de répit. Donnée elle aussi comme épouse contre son gré à un cousin que toute sa famille savait violent, de l « amour » elle ne connait que la récurrence des humiliations verbales et physiques. Une situation qui loin d’émouvoir ses proches trop habitués à faire endosser à la femme l’échec de son mariage, la pousse à considérer chaque jour en tant qu’épouse comme un pas certain vers sa mort.
Les Impatientes c’est l’histoire d’une société profondément patriarcale dans laquelle l’autonomie des femmes est sans cesse remise en question. Jamais elles ne s’appartiennent, jamais leur parole ne tombe dans le creux d’oreilles attentives. Dans cette société, seules les femmes sont soumises au relativisme des mariages malheureux qui nimbent de tristesse les cœurs. En plus de rester verticales face aux affres que suscitent les comportements d’époux autoritaires et violents, et de pères mus par l’appât du gain, elles se doivent d’afficher en toutes circonstances une dignité sans faille. Mais cette dignité n’est pas celle des gens libres de déterminer leur sort ; Il s’agit ici d’une dignité adossée au seul devoir de ne jamais jeter le discrédit sur le nom du mari ou du père. Alors, lorsque vient le mariage, la société toute entière n’hésite pas à leur rappeler que leur nouveau statut s’accompagne d’un commandement auquel elles ne doivent jamais déroger, celui de faire preuve d’une patience à toute épreuve.
À travers ce livre Djaili Amadou Amal dresse un constat amer de la situation des femmes dans le Sahel et dénonce avec force le mythe de l’amour qui serait inéluctablement violent et douloureux. Loin du narratif des contes de fées, dans cette région du monde les relations conjugales apparaissent surtout comme un sacerdoce. Tantôt heureuses, tantôt malheureuses, mais toujours jalonnées d’épreuves douloureuses qu’il faut automatiquement surmonter pour prétendre à l’amour véritable. Mais dans ce parcours qui n’est l’apanage que des épouses, certaines ne voient pas le bout du tunnel et restent prisonnières d’un combat qu’elles n’ont pas choisi, avec pour seul soutien la patience qu’on leur a recommandée et la triste idée que si elles n’y parviennent pas, c’est certainement la volonté d’Allah, puisqu’ « au bout de la patience, il y’a le ciel ».
LES IMPATIENTES, Djaili Amadou Amal, Editions Emmanuelle COLLAS,
Prix Goncourt des Lycéens 2020
Sarah GIORIA NDENGUE