Limbo
Genre : thriller
Pays : Hong Kong
Durée : 1h58
Réalisateur : Soi Cheang
Acteurs : Ka Tung Lam, Yase Liu, Mason Lee


En haut, la ville de lumière s’élance pour épouser les nuages, cherchant une place meilleure au sein du
monde. En bas, la fange, le territoire noir du désespoir, horizon sans lumière. C’est au cœur de ces ordures
que le vétéran, Cham, et son jeune supérieur, Will, traquent un serial killer particulier. L’homme coupe les
mains de ses victimes, abandonnant les corps aux ordures de la ville. Corps de jeunes femmes rongés par
l’oubli, en marge d’un monde qu’elles n’intéressent pas. Tenaces, perspicaces, Cham et Will iront jusqu’au
bout de la piste, quitte à perdre leur âme en cours de route. Will trimbale une rage de dent et sa jeunesse
pour plonger dès la première enquête dans un océan de feu. Le vétéran porte en lui une vieille blessure, un
traumatisme, une envie de vengeance qui le pousse à embarquer Wong dans sa descente en enfer. Cette
dernière sort tout juste de prison et ne demande que le pardon et la rédemption, mais on ne sort pas du
bourbier du diable aussi facilement. Ils devront se confronter avec le visage du mal et son territoire noir
sans espoir de guérir leur blessure. Ils plongent dans le néant de la ville en espérant effacer de leur
mémoire ce territoire si noir. Une main pour un tueur en quête d’une ligne de vie.
« Les flics sont humains, nous avons des émotions. » Chef de la police.
La comparaison avec Seven s’impose comme une évidence. C’est la même noirceur qui habite les deux
univers de David Fincher et de Soi Cheang. Ce dernier choisit le noir et blanc comme si, dans ce monde,
il nous fallait choisir entre le bien et le mal. Nous verrons que le gris finit par devenir l’élément principal
pour l’âme des personnages. Le tueur est marqué du signe du démon sans espoir de retour. Il finit par
devenir cette poubelle de la ville, noyant son désespoir jusqu’au choc final. Cham est un enquêteur
marqué par un drame auquel la jeune Wong est liée. Il cherche aussi bien à assouvir la vengeance qui
libérera son âme envers le tueur que contre la jeune fille. Il ne comprend pas que la liberté passe par le
pardon. Will finit peu à peu par être contaminé par ce territoire qu’il arpente, traquant un monstre qui le
marquera à jamais.
La jeune Wong, jetée dans la tombe du monde, ne demande que le pardon pour reprendre une vie
calligraphiée par une erreur, une terreur profonde. A leur façon, ils cherchent tous à atteindre la lumière
qui les sauvera de leur tourment en effaçant les ténèbres pesant sur leur âme. Ils ignorent que le monde est
un chaos mélangeant jour et nuit pour que la vie s’épanouisse entre le bien et le mal. Le film emprunte à la
fois au bouddhisme avec la notion de cause à effet, et au christianisme avec l’image de la vierge, le
sacrifice, l’enfer, le paradis, la faute et la rédemption. Il porte en lui une bonne dose de nihilisme, une idée
de l’absurdité de la vie, de l’inexistence de la morale et de la vérité dans un monde où l’existence n’aurait
aucun sens. Le bonheur, l’optimisme, l’enthousiasme n’existent plus. Aucun des protagonistes de cette

histoire ne les porte en lui. Les personnages sont tous nourris par une certaine fatalité, à l’exception peut-
être de Will et Wong. Ces derniers finiront par capituler et rien ne dit que la fin apportera l’espérance.

La mise en scène est plus que remarquable. Elle nous emporte avec son jeu de gros plans, de visages
bousculés, déformés par la pluie, de panoramiques sur la ville et les bas-fonds, d’odeurs nauséabondes.
Les gratte-ciels aux petites fenêtres lumineuses, pleins de vies paisibles, s’opposent aux poubelles près
desquelles nichent les démunis. Dans cette farandole d’images négatives, de figures de démons qu’ils
frôlent, une femme enceinte peut apparaître comme un point lumineux. La pluie omniprésente accentue
cette idée d’apocalypse. Une femme endormie attendant un baiser pour se réveiller nous ramène au conte.
Le film nous révèle un des grands réalisateurs hongkongais à l’œuvre impressionnante, que Limbo

permettra peut-être de mieux découvrir. Le film nous interroge sur notre humanité, sur ces ténèbres au-
delà de la lumière. Entre le bien et le mal, que choisissons-nous comme chant de nos destinées ? Le

montage, avec ses plans larges et serrés, ses ambiances de la lumière aux ténèbres, participe d’une
atmosphère anxiogène où la mort livre son dernier chant crépusculaire. Et le pardon reste son dernier mot.
Une fois l’écran éteint, une foule de questions nous étreint, tout en sachant qu’elles ne trouveront pas
toutes des réponses.

Patrick Van Langhenhoven
Françoise Poul
J’ai bien aimé que tu parles des odeurs, ce qui peut paraître paradoxal quand on parle de cinéma, mais
justement non. Je pense que le film est plus subtil que Seven, qui misait plus sur le spectaculaire ; on
sent bien la névrose de tous les personnages, ce qui était peut-être un peu moins le cas pour Seven.
Seven me faisait, une fois la surprise passée, l’effet d’une recette de cuisine bien huilée. Limbo laisse
surtout le goût d’existences sacrifiées à la pulsion de mort, comme une mauvaise glu que rien ne peut
nettoyer.


Fiche technique

  • Titre original : 智齒, Zhì Chǐ
  • Titre français : Limbo
  • Réalisation : Soi Cheang
  • Scénario : Au Kin-yee
  • Pays de production : Hong Kong
  • Format : noir et blanc
  • Genre : drame
  • Durée : 118 minutes
  • Dates de sortie :
    ◦ Allemagne : 3 mars 2021 (Berlinale 2021)
    ◦ France : 14 septembre 2021 (L’Étrange Festival 2021)1, 12 juillet 2023 (sortie nationale)
    ◦ Hong Kong : 18 novembre 2021
  • Classification :
    ◦ France : interdit aux moins de 16 ans
    Distribution
  • Gordon Lam : Cham Lau
  • Mason Lee (en) : Will Ren
  • Cya Liu (en) : Wong To
  • Hiroyuki Ikeuchi : Akira Yamada

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