Série : Wild West

Titre : Calamity Jane

Scénariste : Thierry Gloris

Dessinateur – Coloriste : Jacques Lamontagne

Edition : Dupuis – Date de sortie : 24 janvier 2020

« Si la légende est plus belle que la réalité, imprimez la légende. » John Ford, L’Homme qui tua Liberty Valance.

Notre histoire commence dans l’ouest sauvage, dans la ville d’Omaha City en pleine expansion. Bientôt, le train sur ses rails reliera ce bouge au monde nouveau. C’est dans ce trou de l’enfer que la jeune Martha Cannary s’occupe du linge et de divers petits travaux pour les femmes de petite vertu. Elle regarde de loin ce monde sans scrupule, épargnée par ses jeunes années, la providence du seigneur. C’est dans ce tripot qu’elle croise la route de Wild Bill Hickok, chasseur de primes à la gâchette facile. La pauvre enfant perd son statut d’innocente pour payer une dette, suite à de mauvaises intentions d’un sale individu. Les soins et le repos ne sont pas un cadeau. Elle comprend que tout le monde ne lui veut pas que du bien. C’est forcé qu’elle vende son corps, ignorant que l’enfer est sur terre et les acolytes du diable bien plus proches d’elle qu’elle ne le pense. C’est de nouveau ce brave Bill qui lui vient en aide et la sort du piège pour lui ouvrir les yeux. Ce soir-là, la jeune Martha est morte à tout jamais pour laisser la place à la légende de Calamity Jane.

 

« Il n’y a vraiment rien dans ce monde d’aussi merveilleux que la foi d’un enfant dans quelqu’un qu’il aime. » Lettre de Calamity Jane à sa fille.

 

On a encore du mal à démêler le vrai du faux de l’histoire de cette jeune fille de 13 ans, partie du Missouri, finissant à Deadwood en passant par l’Utah. Deux versions s’opposent, une vraie vie de légende un peu romancée, l’autre versant parle d’affabulation, d’une vérité bien moins reluisante. Thierry Gloris choisit de mélanger la légende et la réalité pour recomposer sa propre version du personnage. Il ouvre l’album sur une séquence de conquête de l’ouest aux accents du film Délivrance et son banjo. Un chariot roule en quête de la promesse d’un paradis perdu pour recommencer sa vie. La mort frappe l’espérance du bonheur possible pour nous plonger dans les bouges d’une ville naissante. Nous sommes aux portes du vingtième siècle, à l’aube de grand bouleversement. C’est la première ligne reliant Sacramento (Californie) à Omaha (Nebraska), achevée en 1869. C’est dans ce contexte que se situe l’histoire de Martha Cannary. La voix off de la jeune fille trace le portrait d’un monde sauvage et sans pitié, l’espérance d’une vie meilleure bafouée par de fausses promesses. C’est l’innocence perdue par la trahison et le mensonge. Cette ville est peut-être l’enfer qu’elle traverse, avec ses démons qui la transformeront. On peut le voir comme une métaphore d’un pays en pleine mutation. La loi du plus fort, la règle du chacun pour soi et de la survie laissent la place à l’émergence d’une jeune nation libérale. C’est la fin des soudards et des profiteurs en tout genre. Wild Bill Hickok apparaît comme une figure de transition entre le passé et le présent. Il est encore marqué par le fer de la violence mais change en aidant la jeune fille à s’émanciper. Celle-ci passe encore par la colère du colt, mais la nouvelle jeune fille, Calamity Jane, peut espérer changer ce pays. La frontière du bien et du mal reste encore tranchante comme la lame du couteau. La jeune fille innocente, devenue putain malgré elle, jette ses oripeaux pour se transformer en une femme volontaire habillée en homme. Elle n’est plus victime mais responsable de son destin à forger à l’aune de son esprit. Jacques Lamontagne lui apporte ses dessins aux couleurs de la nuit, la lumière ne pointe pas encore à l’aube. Le trait de crayon est vif et tranchant. Il rappelle dans ses couleurs et ses formes les peintres de la fin du 19e siècle, Corot, Courbet et certains peintres anglais. Les figures sont en majorité austères, marquées par la violence de l’époque. Les paysages sont couverts de nuages noirs annonçant la sombre histoire. Calamity est une jeune fille élancée qui finira par se tasser avec le temps et le poids des obstacles, peut-être. Une pointe d’onirisme s’égare en page 32 avec les tentacules d’une pieuvre. Le dessinateur saisit avec justesse ce vivant de douleur et de misère. Il est aussi à l’aise dans les grands espaces que dans les bouges et les ruelles urbaines. Le feu se cache dans l’ombre. Incendies, flamme des lampes éclairent d’un rond de lumière l’espérance. Ce premier album, prometteur, augure d’une nouvelle série qui devrait s’inscrire comme incontournable dans la marée d’albums consacrés au western.

Patrick Van Langhenhoven

 

 

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