Luc Bérimont sort du Bois Castiau
Après la mort des poètes et d’une façon générale des auteurs, il n’est pas certain, contrairement à ce que chantait Charles Trenet que leurs chansons courent encore par les rues. Au contraire, ils entrent tous dans un purgatoire dont de nombreux ne ressortent jamais.
Disparu en 1983, deux éditeurs, à l’occasion du centenaire de sa naissance, le font revenir d’outre- tombe.
Le Bois Castiau
Plutôt que de « mémoires », c’est de la mémoire d’une enfance retrouvée qu’il convient de parler à propos de ce récit. Une mémoire fidèle, non pas tant par l’exactitude des faits rapportés, bien qu’ils soient exacts, mais fidèle par son authenticité ressentie. Comme il le dit lui-même, un peintre n’est pas photographe. Et on « mythologise » forcément lorsqu’il s’agit de puiser dans la malle aux trésors des souvenirs d’enfance. C’est, justement, de ce rapport faussé avec le réel objectif que nait la magie. Comme l’écrivait André Dhotel (Le pays où l’on n’arrive jamais) : Le merveilleux est chose sérieuse ici-bas, à condition qu’il reste branché sur le réel.
Lire, en 2015, cette enfance vécue au début du vingtième siècle, c’est faire un retour dans un passé qu’aucun contemporain n’a connu, qui nous parle de ce qu’étaient les forêts, les lampes, les hivers, les nuits, les villes et les villages, une dimension disparue. Luc Bérimont donne à cette enfance la dimension d’une fable, d’une légende, d’un conte.
Par son écriture, il fait resurgir cette « mythification » de la parole, dont le ressort est dans le langage même, dans le respect d’une parole, où les mots rendent compte du mystère qui habite toute existence humaine ; il leur restitue leur pouvoir charnel, rétablissant par eux le rapport sensible qu’il y a entre le ressenti d’un individu et le grand brassage universel.
Des mots essentiels sont les clés de ce royaume : « vin », « pain », « femme », « nuit », « arbre », « neige », « feu », des mots qui nous emportent du coté de la beauté et du mystère du monde. Ce jouisseur de mots comme il se définissait lui-même, nous fait entendre les battements, le rythme du sang et de la chair.
C’est tout un monde d’odeurs qui resurgit ; celle du lait bourru, du sucre, d’été finissant, la rivière, l’odeur du pétrole de la lampe, de la corbeille à pommes. A ces odeurs font écho le galop d’un cheval sur la route gelée et le marteau sur l’enclume du maréchal-ferrant et l’on ressent, alors, le sens de ce vers de Baudelaire : Les parfums, les couleurs et les sons se répondent.
Enfance rêvée, enfance recréée, enfance réinventée. C’était dans les Ardennes autrefois. Nous voilà aux antipodes du monde des techniciens, des comptables, des technocrates, responsables des grandes glaciations de notre société actuelle. Cette enfance est celle de tous les désirs et elle est universelle.
Le sang des hommes
Dans cette anthologie, Bruno Doucey a rassemblé un demi-siècle de la vie d’un homme en poésie. Une vie, un monde, viennent à nous dans une langue sensuelle, vibrante et fraternelle.
Une voix, à nulle autre pareille, ayant traversé les temps difficiles du siècle passé, les exils géographiques et intérieurs. Une voix, à la fois chaude et désaltérante, qui invite à une fête intime, dans une profonde humanité du verbe, au partage fraternel.
Cette voix, qui dit la singularité d’un homme, nous invite, nous incite à pousser la porte au fond de soi. C’est à cela, me semble-t-il, que l’on reconnaît un « grand » poète, lorsqu’écrivant son intimité, il est capable de faire résonnance avec l’intimité de chacun. C’est un homme debout qui nous chante le chant éternel des hommes, le sang universel des hommes.
Dans sa postface, Jean-Pierre Siméon écrit : D’un lyrisme puissant, charnel, sensuel, la poésie de Bérimont chante toujours dans un rythme ample.
En ces temps incertains de matérialisme effréné qui n’est que le symptôme d’une déshumanisation galopante, Luc Bérimont nous rappelle à l’évidence et à l’essentiel. Nous sommes les amants de la terre, ce séjour premier, simple et naturel, sous le ciel, près de l’arbre, dans les herbes fragiles, près d’une source.
Lire Bérimont, c’est réapprendre que l’amour, l’amitié, la liberté sont les plus hautes valeurs à vivre et qu’elles sont faites pour être vécues, à pleins poumons, en plein vent, en plain-chant.
Et c’est ainsi qu’Orphée est grand…
Jacques Viallebesset
Le bois castiau.- Bègles : éditions Le Castor Astral / Lille : Les Venterniers, 2015 ; collection Les Inattendus, N° 57.- Prix : 18,00 €
Le sang des hommes.- Editions Bruno Doucey, 2015.- Prix : 15,50 €
Jacques Viallebesset est né en 1949 en Auvergne où il réside. Pseudonyme d’un éditeur, il s’est fait connaître comme co-auteur d’un roman, La Conjuration des vengeurs (Dervy, 2006), où il utilise tous les ressorts de l’imaginaire et de l’ésotérisme, adapté en bande dessinée sous le titre éponyme en 2010 chez Glénat.
Également poète, il a déjà publié quatre recueils, L’Écorce des cœurs, en 2011 et Le Pollen des jours en 2014 aux éditions Le Nouvel Athanor. Son troisième recueil Sous l’étoile de Giono est paru en 2014 aux éditions Alain Gorius/Al Manar. Enfin Ce qui est épars est paru chez Recours au poème éditeurs. Ses poèmes sont présents dans plusieurs revues et anthologies internationales, dont l’anthologie Poème/ultime recours parue chez Recours au poème éditeurs.
Sous son nom, il a été chroniqueur de poésie au Magazine littéraire et chroniqueur sur le web-magazine spécialisé Recours au poème. Il anime, par ailleurs, un blog d’anthologie de poésie.
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