“ La décision secrète d’Eisenhower ”

 

@goncourtlorrain

Dominique-François BARETH
(Gilles GOSSEREZ, Dominique-Francois BARETH, au milieu : Manitra RASAMOELA, Bernard VISSE)

L’équipe de Lumières en Arts a rencontré l’écrivain Dominique-François BARETH.

Dominique-François BARETH a évoqué lors d’un entretien passionnant pour les lecteurs du Magazine Lumières en Arts son ouvrage “ La décision secrète d’Eisenhower ”.
l’ouvrage.

Comment faut-il comprendre le choix du titre de votre remarquable livre richement documenté ?
Ce titre, qui a été choisi par la directrice de « La nuée bleue », Madame REUMAUX, fait parfaitement ressortir les trois éléments spécifiques de l’ouvrage.

« Eisenhower » : Ce grand personnage de la Seconde guerre mondiale, et futur président des États -Unis, en est la figure centrale. Lors du déroulement du récit, à l’automne 1944, il est, à l’exception peut-être de Staline, le chef allié le plus puissant en Europe : Commandant suprême sur le front ouest, et investi de la confiance du président Roosevelt, il dispose de 2 millions de soldats, plusieurs dizaines de milliers de chars, et 15.000 avions. Il est l’architecte du débarquement de Normandie, le libérateur, en trois mois, de la majeure partie de la France, ainsi que de la Belgique. Mais ensuite, ses armées se trouvent bloquées par un front que la Wehrmacht a su rapidement reconstituer de la Hollande aux Vosges. Pour tenter de terminer la guerre avant l’hiver, Eisenhower va lancer, au centre, une série d’offensives, en comptant essentiellement sur le puissant 12° Groupe d’armées américain du général Bradley, et notamment sur sa III° US Army, commandée par le général Patton. Ceci est sans grand résultat: les Allemands tiennent bon, et Bradley piétine. A la fin novembre pourtant, une percée se produit. Mais pas là où elle était attendue… Au sud du dispositif allié, la 1° Armée française du général De Lattre, ainsi que la VII° US Army du général Patch, avec sa pointe blindée, la 2° D.B. du général Leclerc, font irruption, presque simultanément, dans le sud et le nord de l’Alsace. La Wehrmacht s’en trouve complètement déstabilisée, et le général américain Devers, commandant le 6° Groupe d’armées, se prépare à en profiter pour passer le Rhin dans la foulée, et pénétrer au cœur du Reich par le sud. Toutefois, ce mouvement stratégique n’a pas été prévu dans les plans qu’Eisenhower a mis en place, notamment avec les alliés britanniques. Et derrière les considérations militaires se cachent aussi des arrière-pensées politiques…

« La décision » :

Eisenhower se trouve face à un dilemme : s’en tenir au canevas fixé, ou saisir la nouvelle opportunité qui vient de s’offrir ? Le 24 novembre au matin, de façon tout à fait soudaine, il quitte son quartier-général avancé de Reims. Il rencontre d’abord ses plus importants généraux: Bradley à Toul, Patton à Nancy, Devers et Patch à Lunéville. Ensuite, il va sur le front, à Sarrebourg (PC du 15° US Army Corps) et à Saint-Dié (PC du 6° US Army Corps). C’est là, après avoir entendu les partisans et détracteurs de l’offensive en Allemagne du sud, qu’il prend sa décision. Une décision lourde de conséquences pour la Lorraine et l’Alsace.

« Secrète » : Cette décision est hautement secrète, connue seulement de rares généraux américains de très haut rang. Les Français ne sont pas au courant. Et il faut savoir qu’ensuite, après avoir laissé passer cette occasion, les Alliés devront attendre 4 mois pour parvenir à franchir le Rhin . . . Alors, après la guerre, Eisenhower va s’employer à brouiller les pistes à ce sujet, et à veiller à ce que le secret reste bien gardé. “ La victoire sacrifiée ” : un propos vif semble traduire en mots la conséquence majeure de cette décision secrète d’Eisenhower. Présentez- nous votre argumentaire à ce propos ? Très nombreuses sont les villes en France qui ont une avenue, où une rue, portant le nom de De Lattre ou/et de Leclerc. Parmi les plus brillants faits d’armes de ces généraux devenus maréchaux, on compte la prise de Mulhouse et celle de Strasbourg, qui leur permit à tous les deux d’arriver premiers au Rhin, en tête de tous les chefs militaires alliés. Mais ce qui n’est pas connu, c’est que ces succès français ne purent être véritablement exploitées. La décision d’Eisenhower les vida de leur signification stratégique . . . C’est en ce sens que les victoires françaises et américaines du 6° groupe d’armées furent effectivement sacrifiées. Un épisode décisif de l’histoire de la Libération de l’Est de la France, qui est resté méconnu jusqu’ici. Insistons sur un point essentiel, le général Devers avait envisagé un plan alternatif : la traversée du Rhin par les forces alliées avec plusieurs mois d’avance, quelles auraient été toutes les conséquences d’un tel choix stratégique ? Par exemple, que serait-il advenue de l’offensive allemande des Ardennes ? Le général Jacob Devers, qui, par certains côtés, se trouvait être alors le rival d’Eisenhower, avait non seulement conçu un plan alternatif à celui du Commandant suprême allié, mais il en avait déjà largement commencé la phase préparatoire. La modélisation du franchissement du fleuve, le choix des troupes pour l’opération amphibie, l’identification des mouvements des unités, tout cela était en place – jusqu’au concours de l’US Navy, qui était garanti . . . Il s’en est fallu juste de deux ou trois jours pour que ce projet devienne réalité. Et si cela avait été le cas, l’irruption des Américains dans la plainte de Bade, remontant en direction de Mannheim et Francfort, aurait obligé Hitler à une réaction très rapide et de grande ampleur, qui aurait clairement changé la fin de la guerre. Le livre propose, dans son dernier chapitre, une simulation réaliste de la mise en œuvre de l’ensemble de ce plan du général Devers, et de ses conséquences.

Reportage par Manitra, Onja et Gilles 

 

 

 

 

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